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Quête de justice contre le racisme environnemental

En France et plus largement dans l’Union européenne, les communautées minauritaires comme celle des Roms, sont victimes de racisme environnementale. Cette discrimination doit être adressée par le European Green Deal, pour assurer une transition juste qui ne laisse personne de côté, écrit la deputée européenne Marie Toussaint. *

La crise environnementale s’accélère, et il devient de plus en plus apparent que la lutte contre le changement climatique, pour la préservation de la biodiversité et contre toutes les formes de pollution est un défi social majeur.  

La mort de George Floyd aux Etats-Unis a entrainé une mobilisation massive au sein du monde occidental, dont les militant·es du climat ont cette fois été des acteur·ices majeur·es. L’enjeu de la justice environnementale, encore trop souvent ignorée, a fait son émergence dans le débat public et doit désormais ici en Europe donner naissance à une véritable stratégie politique.  

Nous connaissons depuis longtemps l’enjeu de l’injustice et parfois même du racisme environnemental. Nous voyons les mobilisations des populations défavorisées contre des décisions et pratiques industrielles ou gouvernementales, à l’origine de nuisances environnementales et sanitaires parfois très graves. L’histoire de la lutte pour la justice environnementale est souvent renvoyée à l’année 1978, et située à quelques encablures des chutes du Niagara, dans l’État de New York. Elle se passe dans le lotissement de Love Canal, où résident 1100 personnes, des familles issues des classes populaires, dont 60 % d’afro-américain·es. Les habitant·es du Canal découvrent qu’iels sont exposé·es à des produits chimiques toxiques. Plus de 20 000 tonnes de déchets ont été enterrés dans les années 1940 par la Hooker Chemical Company sous les habitations et sous l’école. Des enfants naissent avec des malformations. Le taux de fausses couches, de maladies du système nerveux des ouvrier·es et des cancers sont très élevés. Dans son ouvrage Love Canal Revisited : Race, Class, and Gender in Environmental Activism, la chercheuse Elizabeth Blum montre que ces luttes pour le droit à un environnement sain, et notamment celle-ci emblématique et fondatrice, ouvrent sur des mouvements sociaux plus larges comme les droits civils et le féminisme.  

Qui paye l’addition?

Ce n’est pas un scoop: les plus fragiles sont les premières victimes des violences environnementales, alors que leur responsabilité est souvent dérisoire: à titre d’illustration, dix pour cent des habitant·es les plus riches de la planète sont à l’origine de plus de la moitié des émissions de CO2, alors que la moitié la plus pauvre du globe n’est responsable que de 10% des rejets polluants. Ce sont pourtant ces populations là qui sont en première ligne du réchauffement, celles que nous compteront parmi les 250 millions de réfugié·es climatiques prévu·es par l’ONU à l’horizon 2050. C’est au Bangladesh que la montée des eaux provoque l’arrivée de la mer dans les rizières, salinise les sols, rend les terres stériles, et conduit à la famine et à l’exode de la population rurale vers les villes.  

En marge de la société

Cet enjeu de justice environnementale est aussi un enjeu majeur, ici, sur le territoire européen, où les populations les plus précaires économiquement sont, comme sur le reste du globe, les plus exposées aux risques naturels, industriels et sanitaires. Le récent rapport “Pushed to the Wastelands” du European Environmental Bureau décrit la discrimination systémique et systématique dont sont victimes les communautés roms. Les statistiques et les études sont sans appel :
– En Europe, l’espérance de vie des Roms est de 10 ans inférieure à celle de l’Européen moyen et le taux de mortalité infantile est nettement supérieur à la moyenne de l’UE.

– Moins d’un Rom sur quatre termine sa scolarité et environ 20 % des Roms adultes en Europe ne savent ni lire ni écrire, selon leurs déclarations.
– Seul un Rom adulte sur quatre en Europe a un emploi.
– Un Rom sur quatre a déclaré en 2016 avoir été victime de discrimination au cours de l’année écoulée (mais seuls 10 % l’ont signalé aux autorités compétentes).
– Plus de la moitié des Européens ont déclaré qu’ils ne voudraient pas avoir de “Tsiganes” comme voisins dans une étude de 2008.

Une pandémie de discrimination

Les discriminations historiques et systémiques dont elles font l’objet poussent les communautés Roms vers des territoires et des quartiers marginaux et pollués, et les prive de l’accès aux services publics, aux soins de santé, ou même à l’eau potable. Une situation aux graves répercussions sur la santé et le bien-être de ces populations. La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 en est une illustration récente. Selon le bulletin de l’Agence des droits fondamentaux de l’UE (FRA) daté de la fin septembre 2020, la communauté des Gens du voyage et des Roms a particulièrement souffert du confinement : perte de revenus, surpopulation au sein des habitats, manque d’accès aux soins (par l’éloignement des infrastructures) et à l’hygiène (par la vétusté des installations) ont accru les risques. Quant à l’enseignement à distance, sans accès aux équipements numériques, et notamment internet, il est difficile… pour ne pas dire impossible.  

Ces injustices sont celles que subissent en France, les gens du voyage, populations  délaissées, volontairement installées loin des regards, dans des lieux de vie qui seraient pour toute autre catégorie de population considérés comme inhabitables. Le chercheur militant William Acker s’est penché sur 508 aires d’accueil dans 33 départements français. Il ressort de ses études que 82,6 % des aires sont isolées des zones d’habitations, et 62,2 % sont soumises à des nuisances industrielles ou environnementales en raison de la proximité immédiate d’une autoroute, d’une voie ferrée, d’une déchetterie, ou d’une station d’épuration. La moitié des départements compte au moins une aire à proximité d’un site Seveso, c’est à dire d’une installation qui présente potentiellement un risque important de pollutions ou de nuisances pour les riverains.

Quartiers dangereux

L’usine Lubrizol, au pied de laquelle est installée l’aire d’accueil pour gens du voyage de Petit-Quevilly (Seine-Maritime), était classée Seveso lors de l’incendie dont la fumée a envahi le ciel de Rouen en septembre 2019. C’est aussi le cas de l’usine AZF de Toulouse (Haute-Garonne), dont l’explosion en septembre 2001 a causé la mort de 31 personnes et blessé 2500 riverains. Le site jouxtait des quartiers populaires qui concentraient des populations précaires et notamment des familles immigrées non-européennes à faibles revenus. Ce racisme environnemental n’est pas spécifique aux Roms et gens du voyage. Les populations les plus pauvres et les plus vulnérables sont aussi celles à qui l’on refuse de vivre dans un environnement sain. Ainsi en France chaque pourcentage supplémentaire d’immigré·es au sein de la population d’une ville augmente de 29% les risques pour qu’un incinérateur à déchets y soit installé.

A Hellemmes-Ronchin( Nord), c’est un collectif  de femmes qui interpelle les pouvoirs publics depuis 2013. Environ 200 personnes vivent sur un terrain coincé entre une usine à béton, une entreprise de concassage, des champs régulièrement arrosés de pesticides et autres produits toxiques, et une voie ferrée. De nombreux enfants et personnes âgées souffrent de maladies respiratoires, dermatologiques, ou ophtalmologiques. L’aire d’accueil de Chauvilly, à Gex (Ain) est, elle, installée au milieu d’une carrière qui servait également de décharge pour deux entreprises qui y incinéraient illégalement des déchets de BTP et des produits toxiques. Ici aussi les habitant·es ont des problèmes respiratoires et ne peuvent plus prendre leurs repas dehors.   

Justice pour tous

Même lorsque les luttent paient sur le papier, les victoires restent difficiles à emporter concrètement. A Herblay (Val d’Oise), lorsque le maire de la commune exige -en 2004 et sous couvert de protéger une zone naturelle- l’expulsion de 25 familles installées parfois depuis plus de trente ans, certaines partent mais d’autres, saisissent la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Elles obtiennent gain de cause en octobre 2013. La France est condamnée, certes, mais sept ans après cette décision, dix-sept familles n’ont toujours pas été relogées.  

La Commission européenne a annoncé vouloir mettre en œuvre un Green Deal qui protègerait enfin véritablement notre planète, en ne laissant personne de côté. Ne laisser personne de côté cela signifie évidemment qu’il nous faut garantir le droit à l’emploi et l’accompagnement social nécessaire des citoyen·nes européen·es dans la transition écologique, mais qu’il nous faut aussi, à chaque étape, au sein de chaque stratégie déployée pour l’écologie, pour la justice sociale, dans la réorientation de notre économie et de notre structure industrielle, œuvrer à la justice environnementale. Cette justice suppose aussi qu’on ne fasse pas l’économie d’une réflexion sur la façon dont la fiscalité s’adapte aux enjeux environnementaux et climatiques. Quand, en France, les ménages les plus pauvres doivent supporter en moyenne un effort budgétaire trois fois supérieur que les ménages les plus riches pour s’acquitter des différentes taxes dites « vertes », on est encore loin du compte.  

L’ONU a consacré la dernière Journée Mondiale du Refus de la Misère, le 17 octobre 2020, à l’écologie et à la justice sociale et environnementale pour tous dans la lutte contre la grande pauvreté. Cette initiative doit maintenant donner lieu à la naissance d’une stratégie européenne pour la justice environnementale, à décliner dans tous les Etats-membres. C’est possible, et nous y œuvrerons sans relâche. Il en va du respect des droits humains.


Marie Toussaint est une juriste et policitienne française. En 2019, elle est élue comme députée européenne, elle fait partie du groupe Greens/EFA alliance. Elle siège à la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie.